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A Tous les  maîtres sur la route
A vos lumières sur les scènes.

Il faudrait partir d’une nécessité d’acteurs (hommes et femmes en monde)
Comment mon corps peut-il accueillir les mythes, les malédictions, les états de grâce de l’humanité ?
Comment peut-il les faire chanter, aller aux spectateurs (hommes et femmes en monde) ?
Deux mots alors, me viennent en cœur…
Estime de soi. Humilité.
Estime de soi ; car elle est seule pour nous apporter la constance et le courage nécessaire pour nous engager.
Humilité ; car il s’agit bien d’accepter la besogne, accepter de rentrer dans la vase.
Rentrer en certitudes.

Si nous partons du principe que le théâtre défini dans ces lignes, est une tentative pour atteindre et célébrer l’être humain dans toutes ses dimensions (c’est-à-dire jusque dans sa sainteté et sa monstruosité), il est évidemment illusoire d’espérer incarner ces paroxysmes humains sans nous dévêtir de notre enveloppe quotidienne, qui est justement un garde-fou censé nous protéger de ces paroxysmes.
L’acceptation (souvent d’ailleurs par obligation),  des conventions sociales et culturelles régissent les rapports entre les individus, si elle peut être nécessaire à notre fonctionnement dans le monde, devient très vite un obstacle dès lors que nous abordons les dimensions métaphysiques et poétiques de l’existence.
Or, c’est précisément cette dimension que nous nous proposons d’explorer et de partager avec le public !

Il nous faut donc ainsi, accepter de rentrer en certitudes, changer notre façon d’aborder et de percevoir le monde.
Nous engager dans un processus de déconstruction de notre mode de penser habituel, et des boucliers sociaux que nous nous sommes forgés au cours de notre existence.
Nous parlons bien ici d’un processus de déconstruction et non de démolition. Il n’est alors pas question d’être dans la hâte ou la violence,  ni de dénigrer notre histoire.
Au contraire, ce n’est qu’en partant d’une attention certes rigoureuse mais bienveillante à notre être présent que nous pourrons nous mettre en situation d’accueil. 
En position pour être rempli et traversé par d’autres possibles.
En disponibilité pour découvrir et rencontrer.
Pour aller voir.

 

Il s’agit précisément et patiemment de dépasser nos projections, jugements et certitudes, de repousser nos limites, d’élargir nos capacités d’appréhension du monde, afin de se rapprocher de ce qui pourrait se définir comme un  « infini d’humanité », et de pouvoir rencontrer les personnages qui se meuvent dans cette immensité.
L’aventure est là !
Chercher à se rapprocher des essentiels…
Les essentiels pouvant ici se définir comme, ce qui est commun, fait sens et résonne au profond de chaque être.
Qui relie et réunit l’être humain à ses semblables, dans l’infini du monde.
Citons parmi ces essentiels : - La vie et la mort (et l’intervalle !) - La conscience de sa finitude et de celle de ses proches - Les solitudes et les nécessités d’amour - Le rapport à l’autre et au monde - L’individu dans la société et face au mode de penser qui l’environne
- Le pouvoir et la soumission.
La liste n’est pas close.

Même si au cours de l’histoire et selon les civilisations, elles peuvent être perçues-vécues de façons différentes, toutes ces préoccupations (états d’être et d’âmes) sont au cœur de chaque être humain ; sont constitutives de son histoire et de son chemin de vie.
Constitutives également de l’histoire de l’humanité…
Tout à la fois préoccupations individuelles et collectives ; nous reliant aux origines et nous projetant en monde.
S’inscrire dans cette filiation…
Se laisser enfanter et soi-même enfanter…
Contacter son unicité et accueillir dans son intime (avec humour, confiance et respect) les essentiels de la condition humaine.
Faire reliance avec les essentiels des spectateurs.
Trouver l’humanité commune entre le plateau et la salle.
La tâche la plus fondamentale de l’acteur étant peut-être de « nommer le monde ».  Par cet acte symbolique il se définit comme, passeur.
Passeur offrant au spectateur la possibilité de se révéler.
Mais n’est-il pas question du début de l’histoire jusqu’à son dénouement d’une chaîne de révélations ? 

Il s’agit alors de retrouver le chemin de notre organicité, afin de nous mettre en conscience avec notre infini.
En rappelant que cette exploration de l’organicité n’est pas un but en soi, mais un moyen pour aller voir et se rendre apte à la rencontre.
Important, convenons-en, d’aborder ce travail avec la plus grande simplicité et légèreté possible !
Simplicité-légèreté, appuis-outils qui permettront l’engagement.
Il nous faudra d’autres appuis encore ; ce travail n’est pas sans dangers, pas sans embûches…
Il est ainsi très important de construire un cadre de travail aussi précis et rigoureux que possibles, où les dangers seront tenus à distance, et où notre recherche pourra trouver place et s’épanouir.
C’est à l’intérieur de ce cadre que les impulsions, les élans organiques, pourront émerger, se préciser et se sédimenter en corps au fil des répétitions.
Se transformer petit à petit en actions, former au fur et à mesure du travail, la texture corporelle du personnage.
Texture germant et se mémorisant dans le corps de l’acteur.

Dans et grâce au cadre que pourrait naître et fleurir la spiritualité du jeu…
Lorsque je parle de spiritualité du jeu, je cherche à nommer cet état où l’acteur est en symbiose avec l’unicité de son être, avec la profondeur, la richesse, la diversité de son intime.
Intime qui va lui permettre de rencontrer les essentiels, de les porter sur le plateau, de les partager avec les spectateurs.
Notons, que plus ce processus de recherche sera affiné, précis et complet, moins l’acteur risquera de perdre pied et de se raccrocher inconsidérément à son histoire personnelle. Moins il risquera également de se réfugier des échappatoires ; à savoir des moments où son esprit va se laisser envahir par des détails, des pensées annexes, des peurs qui vont encombrer et polluer son jeu, en altérer le sens.
Des moments où son mental va prendre le pouvoir, et provoquer des interférences dans son cheminement organique et spirituel.

Les interférences dans le jeu de l’acteur, peuvent être provoquées, soit du fait de circonstances annexes (perturbations dans la salle ou sur le plateau…), soit parce que ses doutes et ses peurs vont le replacer et le restreindre à sa condition sociale d’acteur.
Condition où tout devient questionnements inhibant (qu’est-ce que le metteur en scène attend de moi, qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour plaire aux spectateurs, est-ce que je suis bon ?).
Les possibilités d’échappatoires sont nombreuses et bien souvent provoquées (la plupart du temps d’une façon inconsciente) par l’acteur lui-même.
En effet, nous sommes presque toujours tiraillés à l’intérieur de notre être, entre deux sentiments contradictoires.
D’un côté l’envie de rentrer en inconnu, de se mettre en état de surprise et de découverte.
De l’autre, le besoin de ne pas se mettre en danger et de rester dans notre connu (même s’il n’est pas satisfaisant…).
En se laissant envahir par les échappatoires, une partie de notre être va ainsi se trouver dans des excuses, des raisons pour fuir et refuser l’inconnu.
L’accepter, laisser le corps prendre sa juste place et les émotions advenir, est une démarche difficile, bien souvent contraire à notre éducation, et propice à la résurgence de peurs archaïques.
Et que la société n’encourage pas !

Si nous voulons inverser ce processus, c’est donc à l’autre partie de notre être qu’il va falloir sera relier.
Celle qui cherche à découvrir et parcourir des chemins inconnus, qui aspire à se penser multiple.
Et c’est cette exploration de « ces espaces du possible », cette découverte des « autres contenus en lui », qui vont permettre à l’acteur de dépasser ses limites et d’atteindre des dimensions insoupçonnées  par « son être quotidien ». Et lui permettre alors, lors des représentations, d’être en capacité-disponibilité pour modifier l’espace.
J’inclus sous le terme espace, les deux entités  scène-spectateurs.
Et lorsque je parle de modifier l’espace, je cherche comment l’œuvre incarnée grâce à l’organicité et la spiritualité des acteurs, va pouvoir créer un autre lieu de réalité.
Lieu ou la magie va pouvoir opérer, où le mystère humain va prendre forme et vie.
Où les deux entités scène spectateurs, au départ séparées, vont pouvoir se réunir.

Il est évident que seul la précision et ma rectitude du cadre peut nous donner la force, la constance et le courage nécessaire (et il nous en faudra !), pour atteindre ce but.
Si nous acceptons cette étique de travail, plusieurs évidences vont faire surface.
La première est que si j’utilise mon travail dans le but de me faire admirer et aimer, je vais me placer (et placer mes compagnons de scène, ainsi que les spectateurs) dans un fonctionnement privilégiant le besoin de faire croire, de prouver.
Le paraître et le superficiel, plutôt que l’authenticité et la profondeur.
Démarche qui va alimenter mes peurs et mes croyances limitantes, nourrir mes petites boursouflures égotiques, mais qui se révélera incapable de m’autoriser  à me dépasser.
Il me faut également me méfier de ma propension à vouloir délivrer des messages.
L’art est au-delà de nous, essayons de nous laisser porter, plutôt que de restreindre notre travail à nos limites de pensées et d’actes.
Laissons-nous en état de surprise, d’émerveillement, en possibilité d’innocence devant ce qui advient, nait de nous.
Laisser éclore et prendre soin, sans idées préconçues et toutes faites.

Il faut également prendre garde de ne pas se laisser piéger par le dogme.
Ne pas s’arroger la mission du porteur de lumière, le rôle de celui qui possède la vérité et est en charge de la transmettre.
N’oublions pas que si spiritualité il y a, elle ne peut qu’être empreinte d’humour et d’humilité.
Et que si je me définis comme porteur de vérité, je retombe dans la nécessité de prouver mon importance et ma valeur.
Dans l’enfermement que je cherche à fuir…
Il s’agit alors dans cette philosophie de travail, non de chercher à prouver aux spectateurs ou à soi-même, mais de chercher à être.
Etre de la façon la plus vraie et la plus profonde possible.
Il faudrait ainsi parler d’un théâtre permettant de devenir plus ouvert et plus riche (au sens figuré !) à force de prise en compte de nos doutes et questionnements, à force d’explorations des possibles contenus dans notre être.
Un théâtre nous offrant la possibilité de restreindre notre incomplétude…
A savoir, l’impossibilité dans laquelle nous sommes la plupart du temps d’assumer la profondeur et la grandeur de notre existence.

 

 

 

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